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Littérature et arts
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27 janvier 2019

La Pitié dangereuse, S. Zweig

la pitié dangereuse S

 

    A cause de la montée du nazisme, l'auteur autrichien Stefan Zweig s'exile à Londres en 1934. En 1939, juste avant la Seconde Guerre Mondiale, paraît son unique roman achevé, La Pitié dangereuse, sous-titré ou L'Impatience du cœur. Faisant le lien entre la violence destructrice de 1914-1918 et le retour de celle-ci sous une nouvelle forme –celle du nazisme–, Zweig situe le cadre de son histoire en 1913. Le jeune Anton Hofmiller, officier autrichien, rencontre lors d'une soirée Édith de Kekesfalva, la fille d'un riche propriétaire. Il l'invite à danser sans se rendre compte qu'elle est paralysée et qu'elle se déplace en fauteuil roulant. Hanté par sa maladresse et par la pitié, il se met en tête de réparer son erreur en allant lui rendre visite tous les jours. Édith de Kekesfalva s'éprend de lui, sans que cela ne soit réciproque.

    Anton Hofmiller est le narrateur, et nous fait part de ses émotions. Le lecteur devient juge du récit. Bien que le roman s'intitule La Pitié dangereuse, il est difficile d'avoir de la pitié pour ces personnages malheureux. Chacun agace, soit par son caractère, soit par son comportement. Anton Hofmiller, est le premier à être détestable. Voulant se racheter auprès des Kekesfalva, il fait tout de travers. La pitié qu'il éprouve n'est pas tant pour la jeune fille paralytique que pour son ego blessé. S'il met tout en œuvre pour qu'Édith ne se suicide pas, c'est parce qu'il ne veut pas porter le poids de la culpabilité. Dépassé par sa pitié, il devient complètement aveugle au reste : il délaisse ses amis, et ne voit pas qu'Édith est tombée amoureuse de lui –ce qui est évident pour l'entourage d'Édith et pour le lecteur. Édith, colérique, lunatique et capricieuse, n'est pas plus aimable que Hofmiller. Elle a tout de même plus de mérite que lui parce qu'elle a plus de courage : elle ose dire ce qu'elle pense et ressent, et veut se battre contre la maladie par amour pour le jeune homme. Son père, vieillard maladif, est agaçant à cause de ses inquiétudes répétées pour sa fille qu'il chérit, sans jamais prendre soin de lui. Il se rend malade pour Édith. Condor aurait pu être agréable s'il n'avait pas vécu une histoire similaire à celle de Anton Hofmiller –à cela près que Condor s'est marié avec la femme handicapée.

    Néanmoins, peu importe que le lecteur ait ou non de la pitié pour les personnages, peu importe que les personnages soient insupportables ou non. L'écriture ne laisse pas insensible, certains propos ayant une dimension à la fois intemporelle et universelle, mettant chacun d'entre nous face à nos failles et nos responsabilités. Happé par l'écriture de Stefan Zweig et plongé dans cette histoire riche en rebondissements, il est très difficile de décrocher de la lecture tant on a envie de savoir comment cela va se terminer –même si on pressent d'emblée que l'issue sera tragique. Cependant, un point non élucidé et seulement abordé une fois par le narrateur, aurait pu être développé : l'orientation sexuelle du narrateur, car c'est peut-être l'une des clés du non-amour de Hofmiller pour Édith. Mais ce point disparaît aussi vite qu'il est apparu.

    Simplement et clairement, Stefan Zweig explore brillamment et profondément les faiblesses et les hontes les plus inavouables des Hommes. En somme, La Pitié dangereuse est un roman palpitant à lire absolument.

stefan zweig

« Il y a deux sortes de pitié. L'une, molle et sentimentale, qui n'est en réalité que l'impatience du cœur de se débarrasser au plus vite de la pénible émotion qui vous étreint devant la souffrance d'autrui, cette pitié qui n'est pas du tout la compassion, mais un mouvement instinctif de défense de l'âme contre la souffrance étrangère. Et l'autre, la seule qui compte, la pitié non sentimentale mais créatrice, qui sait ce qu'elle veut et est décidée à persévérer avec patience et tolérance jusqu'à l'extrême limite de ses forces, et même au-delà. »

1939. La Pitié dangereuse, Stefan Zweig, traduction de Alzir Hella

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