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Littérature et arts
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26 janvier 2019

Comment on freine ?, Violaine Schwartz, m.e.s Irène Bonnaud

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    Écrite par Violaine Schwartz et mise en scène par Irène Bonnaud, la pièce de théâtre Comment on freine ? est une commande de la metteuse en scène à l'écrivaine. Jouée par 3 comédiens, cette pièce de théâtre contemporaine commence sur l'emménagement d'un homme et d'une femme (nous n'avons pas connaissance de leur prénom, ils peuvent donc représenter Monsieur et Madame Tout le Monde) dans un appartement parisien. C'est l'anniversaire de la femme (on ne sait pas son âge), et l'homme veut lui faire plaisir : il se cache derrière une pile de cartons emballés et empilés afin de faire une surprise à sa femme et de lui offrir une robe rouge. Lorsqu'elle entre et lui demande s'il est là, il la surprend. La femme, fragile et imprévisible, s'effondre en larmes ; l'homme s'élance alors vers elle et la console.

    La femme retrouve la ville après un accident de voiture qui lui a causé un traumatisme, qui l'a plongée dans un long coma ; et, après un temps passé à se reposer à la campagne, l'homme a pensé qu'avec un nouvel appartement, l'accident et le passé seraient mis à distance. Mais la guérison est encore loin. En effet, la femme a peur de tout : du bruit, du métro, de la rue, de la foule... L'homme, épris d'un amour fou pour sa femme, se veut protecteur et attentif à son égard. Au fur et à mesure, les cartons sont vidés de leur contenu, dévoilant des vêtements qui s'entassent petit à petit sur le sol. Des chemises, des pantalons, des jeans, des pulls, des vestes, des sous-vêtements... . Au milieu de ces piles de vêtements, la femme découvre un article de journal sur lequel est écrit « L'effondrement le 24 avril du bâtiment Rana Plaza près de Dacca au Bangladesh a causé plus de 1100 morts et représente la catastrophe la plus meurtrière de toute l'histoire du travail ». Subitement, la femme se rappelle des causes de son accident.

    Pour la femme, ces tas de vêtements sentent la mort, celle des ouvrières d'une usine textile Rana Plaza à Dacca, au Bangladesh, usine de prêt-à-porter qui s'est effondrée le 24 avril 2013, causant la mort de 1133 ouvrières. Le vêtement, quotidien et insignifiant en apparence ; symbole de consommation, d'exploitation d'une classe ouvrière et de mondialisation, est à la fois ce qui est le plus proche de nous puisqu'il nous colle à la peau, mais aussi le plus lointain car il est confectionné loin de nous par des inconnus, il est donc marqueur d'intimité mais aussi d'extériorité. Cette pièce de théâtre fait donc le lien entre la production et la consommation d'un objet mondialisé, et dresse les conditions des ouvrières du textile dans les pays du tiers-monde (ici le Bangladesh). Irène Bonnaud souligne que le vêtement représente un enjeu économique international : « Comment la vie singulière d’un individu est traversée par des forces politiques, économiques, sociales qui se jouent à un niveau beaucoup plus vaste ». Comment on freine ?  interroge la place de notre société par rapport à celle du tiers-monde. Le cadre réaliste jusqu'alors instauré se voit rompu avec l'apparition presque magique (par le biais d'un globe-lampe à la lumière magique) d'une ouvrière de l'usine qui se présente sous la forme d'une danseuse de Bharata Natyam. La jeune femme asiatique devient porte-parole des ouvrières mortes de l'usine du Bangladesh. S'exprimant en bengali (sous-titré français), elle chante le chant des canuts lyonnais. L'appartement devient alors le lieu d'une hallucination doublée d'une culpabilité et d'identification irraisonnée aux victimes. C'est le chaos, les tours de cartons s'écroulent, les tas grossissent, la mousson s'abat contre les fenêtres, et le couple se divise autour d'une robe rouge – robe qui fait le lien entre le monde occidental et les ouvrières du tiers-monde. Les tulipes deviennent des fleurs mortuaires, les cartons de vêtements des tombes dont chaque T-shirt représente sa fabricante. Autour de ce couple, l'incompréhension se creuse : l'expérience de mort vécue par la femme est incommunicable à l'homme qui a vécu l'attente et l'angoisse. Cette incompréhension résonne avec les différences entre femme européenne et femme ouvrière du Bangladesh. Comment on freine ? associe la petite histoire avec la grande Histoire (l'histoire d'une femme qui a un accident, avec l'Histoire pendant laquelle une usine s'effondre). Pour la femme traumatisée que ronge sa culpabilité, l'ailleurs et le travail laborieux des ouvrières se trouvent dans ces piles de tissu amassées dans l'appartement. Elle en endosse plusieurs à la fois, s'y couche, s'y blottit, s'y plonge, y dort. Elle flirte avec la folie, ne peut pas sortir de son délire. Elle ne peut pas non plus stopper l'absurdité du monde de la coquetterie et du désir de possession qui ignore la confection de ces besoins. Comment on freine, en voiture comme la mondialisation ? La question perdure.

 

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« F : Il y a quelqu'un ? T'es là ?

T'es là ?

Un long temps. Elle laisse tomber la valise par terre. L'homme sort de sa cachette.

H : Bon anniversaire !

Elle se met à pleurer dans les bras de l'homme.

H : Je t'ai fait peur ?

Excuse-moi.

C'était juste pour te faire une surprise.

J'aurais dû venir te chercher à la gare !

Je n'aurais pas dû t'écouter.

C'était trop tout à coup.

Je le savais.

Ça va aller mieux.

Mieux mieux.

Il faut juste de la patience.

Je suis là maintenant.

Je suis là. »

 

2016. Comment on freine ?, texte de Violaine Schwartz, mise en scène d'Irène Bonnaud, avec :

  • Anusha Cherer
  • Jean-Baptiste Malartre
  • Valérie Blanchon

 


Illustrations : E. Carrecchio

Extrait : Comment on freine ?

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